A la maison,  Nous

La question de la liberté

Depuis quelques jours, nous assistons à de nombreux débats sur les réseaux sociaux sur l’école à la maison versus l’école… à l’école. Le projet de loi visant à interdire l’instruction en famille à partir de la rentrée scolaire 2021 pèse comme une menace lourde de conséquences sur de nombreux enfants qui, jusqu’ici, bénéficient de la liberté d’apprendre à leur rythme chez eux. Alors, lorsque les familles qui instruisent à la maison défendent farouchement ce droit en refusant catégoriquement l’idée que leurs enfants puissent mettre leurs pieds un jour dans une école, des voix montent parmi celles des parents d’enfants scolarisés pour renvoyer la balle en soulignant que l’école, ce n’est quand même pas le bagne. Inévitablement, dans la lutte pour défendre la liberté de nos enfants, le postulat que l’école est un lieu à fuir a fini par s’inviter au débat, froissant au passage les familles allant à l’école.

Il nous semble que la question de la liberté ne devrait pas se poser de cette manière. Nous aimerions proposer une autre vision des choses et essayer de reformuler cette question en partant de notre expérience familiale.

Posons déjà un premier point : pour nous, l’instruction en famille, ce n’est pas l’école à la maison. L’école est un établissement où les enfants reçoivent un enseignement de manière cadrée et collective. Notre maison est un lieu de vie et de liberté où nos enfants apprennent de manière autonome et bénéficient d’un accompagnement individualisé adapté à leur rythme et à leurs capacités. Nous sommes ici face à deux situations qui ne sont pas comparables.

De façon générale, toutes les familles ne vivent pas l’instruction en famille de la même façon : il y a celles qui n’instruisent pas et font entièrement confiance à l’apprentissage naturel de l’enfant, il y a celles qui instruisent en s’appuyant entièrement sur un programme formel, il y a celles qui conjuguent ces deux postures pour créer autant de variantes qu’il y a de familles. La grande diversité et la richesse des pratiques éducatives que l’on observe dans le milieu des familles non-scolarisées témoigne de la liberté que permet le choix de l’instruction en famille et nous montre clairement que l’instruction en famille ne se réduit pas à une simple réplique de l’école dans le cadre de la maison.

En tant que parents, nous sommes autant aptes à veiller au bien-être et à l’équilibre de nos enfants, qu’à leur apporter l’instruction dont ils ont besoin et à les accompagner dans leurs apprentissages. Certes, nous instruisons, mais nous instruisons avec l’amour d’un père et d’une mère. Certes, nous n’avons pas reçu la formation d’un professeur des écoles, mais nous savons ce dont nos enfants ont besoin parce que depuis le moment où ils sont au monde (et même bien avant), nous avons appris ensemble à nous parler, à nous écouter et à nous comprendre… Il n’y a personne de mieux placé qu’un parent pour offrir à son enfant ce qu’il lui faut pour grandir et s’épanouir.  

Ainsi, si nous avons choisi d’instruire nos deux filles en famille, c’est parce que nous voulons prendre soin d’elles et permettre leur épanouissement par une prise en compte individuelle de leurs besoins biologiques, émotionnels, intellectuels et spirituels. L’espace de liberté et de sécurité qu’est la famille rend cela possible.

Nous ne plaçons pas notre priorité sur la qualité ni sur la quantité des activités offertes, nous ne débattrons pas sur le degré de bienveillance des uns et des autres (arguments souvent mis en avant par les non-scolarisés pour se comparer aux scolarisés, que les scolarisés ont tout à fait raison de réfuter par le fait qu’il y a de bons instituteurs avec lesquels les enfants apprennent avec beaucoup de plaisir et de joie). Bien entendu, ces points là comptent. Mais pour nous, l’enjeu n’est pas là. Il est dans le fait qu’en famille, l’enfant est libre de vivre selon ses rythmes et de cultiver ce qui attise sa curiosité à un moment de sa vie, de creuser les sujet qui le passionnent aussi longtemps qu’il le souhaite, de les abandonner aussi quand il le veut, sans avoir à en rendre compte, il est libre de ne rien faire (oui, il y a des périodes où rien ne l’intéresse et où il ne se passe rien), il est libre de se lever et de se coucher à l’heure qu’il veut s’il en éprouve le besoin, il est libre de s’habiller n’importe comment, d’être à l’ouest ou de chercher la perfection, d’apprendre allongé par terre dans le salon ou dans le jardin des heures durant, de dire non, tout simplement… Il n’est pas tenu de dissocier ce qu’il apprend de ce qu’il vit ni de ce qu’il ressent ni de ce en quoi il croit. Il crée du sens et construit sa représentation du monde par et pour lui-même.

L’instruction en famille est le seul environnement dans lequel toutes les conditions nécessaires à un accompagnement de l’enfant, dans sa croissance et dans le respect de sa personne et de ses besoins, peuvent être réunies *.

Pour autant, nous n’opposons pas l’instruction en famille à l’école. En effet, nous pensons que l’exercice de la liberté éducative inclut la possibilité d’offrir à nos filles le choix d’aller à l’école, si elles le souhaitent.

Tous les étés, avant la rentrée, nous avons une discussion avec Maya au cours de laquelle nous lui demandons si elle a envie d’aller à l’école pour la rentrée suivante. Nous sommes entièrement ouverts à cette possibilité et nous l’encourageons à exprimer ce besoin si elle devait le ressentir, comme c’est le cas pour tous ses autres besoins. Alors, oui, sa curiosité lui donne parfois l’envie d’essayer l’école, pour savoir « c’est comment la cantine ? c’est comment d’avoir une maîtresse ? c’est comment une cour de récréation ? », mais juste pour une ou deux journées et pas plus, parce qu’elle veut, dit-elle, « continuer à vivre libre » et « manger les bons plats de maman » et « jouer autant que je veux avec ma soeur ».

Un jour peut-être nos filles décideront-elles d’aller à l’école ? Nous en serons heureux pour elles et nous les accompagnerons dans cette voie si un jour elles viennent à faire ce choix. L’école est un moyen comme un autre d’acquérir des connaissances : nous pouvons l’envisager pourvu que ce soit voulu par elle et décidé ensemble de manière réfléchie et responsable. C’est de cette manière que nous vivons l’instruction en famille : comme un espace de liberté.

* Afin de lever toute ambigüité, nous allons prendre le soin de défoncer une porte ouverte : les cas de familles maltraitantes (malheureusement, il en existe) n’entrent pas, bien entendu, dans le cadre de notre réflexion.

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